Le 6ème Oeil

Dessin à l'encre de Chine, A3, 2024
Illustration faisant partie du cycle Cafard Exquis
(cf. les expos/corpus Veine Sensible et Faune Intestine)

On passe de la névrose au sixième sens en ouvrant son troisième œil

#1
   Une énième soirée à l’étage interlope. Vas et viens frivoles dans un bourdonnement syncopé. Microcosme hétéroclite où se côtoient le banal et le singulier : miroirs baroques, pailles en plastique et petites cuillères entre deux poêles à frire ou deux rangées de livres.
Les corps se croisent, les bouches s’agitent, les yeux se toisent, se provoquent et s’attisent. Jeux de langues qui n’engagent que l’autre.
   L’anomalie couve.
Dans la marmite sur le feu.
Dans le couteau qui émince.
Dans le verre de vin rouge.
L’anodin revêt des allures de présages.
   J’observe, fébrile et hagarde la scène qui se répète chaque soir dans l’espace moite et jacasse de cette pièce aveugle, et que les murs ceignent comme de monolithiques témoins gênants, excitant les tensions.
   Et dans les coulisses de mes membres, je sens mes vaisseaux drainer un étau liquide qui saisit ma chair. Une chaleur me fige, comme un feu de glace.
   La réalité se diffracte sous une lumière blanche, les plans se dissocient et confondent les sens.
Est-ce un philtre qui me fait voir double ?
Est-ce mon double auteur de ce filtre ?
Les yeux mis-clos sur le tableau confus d’un conflit sourd, qu’une rumeur hante et ourdit.

#2
   Bugs visuels et dissonances dans un théâtre qui se ressasse et dont l’illusion s’érodent au point d’en révéler les ficelles. À rejouer leur rôle chaque soir, les personnages se délestent de leur masque.
Une vague imperceptible - insolite - trouble le cadre, rituellement intangible, d’un malaise ; et déflore, dans une danse languissante et lascive, les inhibitions. Les langues se délient, pour mieux serrer leur proie.
   Les pages se déchirent et formes de petites bobines qui rayent la glace. Les couverts se dressent et se couvrent d’une suie grasse. Au contact de la chaleur les liquides se défigurent et laissent une cendre immaculé en fond de casserole.
La matière et les humeurs deviennent molles et polymorphes.
   Les murs exsudent la tension des corps qui se convulsent et cherchent à accoucher d’eux-mêmes en de suggestives torsions.
   Accoutumés aux jeux de lumières, mes yeux percent l’envers du décor qui chavire, pendant qu’une sueur épaisse fait fondre ma peau, expulsant par le derme des larmes d’extase et d’effroi, effets secondaires à la pressurisation. En chef d’orchestre d’un mal de mer, le roulis lancinant de ce vaisseau bat la mesure de mes haut-le-cœur et prélude le naufrage.
   Dans ce nouveau télescopage les yeux s’écarquillent quand les pupilles se rétractent, l’iris brûlée aux rayons des Ubiques Visages, les nerfs agressés par cette nature lunatique. La chimie catalyse ce que l’intuition projetait.


#3
   Distorsion de l’espace-temps dans la bouche de l’enfer. Cet orifice qui engloutit et dévore mais jamais ne dit mot. Sa mastication, dont la scène qui se déroule fait le repas, parle pour elle : Les idées se déchirent au frottement des tessons, les formes pénètrent les fonds, les chairs mordues s’amalgament aux corps pilés. Des dents comme des mégalithes invisibles broient le réel qui se délite en lambeaux, œuvrant sans repos derrière deux lèvres béantes…
   Peut-être est-ce mes paupières ? De quel côté de l’iris se trouve l’enfer ?
Je sens mes atomes défaillir et faire fission sous la chaleur du vertige. Préliminaire aux tremblements.
Je déplore, épie et pleure encore les vestiges de l’arène, dissolue sur mon séant. Fin de la représentation.
Aux larmes se substituent les flots, dégorgeant mes boyaux. Brouet de bile lucide et d’aphorismes gastriques - renvois cathartiques.
   À la lie de la folie ou bien à l’Apex de la raison, la conscience trompe l’œil et la substance trompe la mort. Les faux-semblant volent en éclat comme une écorce sous la poussée de la sève, comme la fièvre sous la poussée du venin. Les essences se révèlent.
   Sortez de mes yeux !


Progression :


Zooms :